Saint-Saba est l'église paroissiale du village de Kfar Hata situé dans le caza du Koura. Elle est située à la périphérie nord de ce bourg.
Cette église a la taille d'une chapelle. Durant les dernières années, elle a fait l'objet d'une restauration " vigoureuse ". L'enduit en béton qui recouvrait les parois extérieures a été décapé et l'abside habillée d'un nouveau parement extérieur. L'ancien clocher qui s'élevait au-dessus du mur sud a été remplacé par un nouveau clocher posé sur le mur nord.
Dans son état actuel, Saint-Saba est une chapelle à nef unique couverte d'une voûte en berceau brisé et prolongée par une abside semi-circulaire saillante à l'extérieur.
Du côté nord, la voûte est portée par une rangée d'arcades aveugles plaquée contre le mur. L'épaisseur de ce mur avec les piliers de l'arcade fait alors 2,07 m. Ce qui porte à croire que l'église ancienne a été doublée de l'intérieur par une nouvelle nef, lors d'une réfection que nous situerons au XIXe siècle. Il en est de même pour la paroi orientale de cette nef qui semble aussi être un plaquage contre un mur plus ancien. Cela explique probablement le fait que l'abside s'ouvre par un double arc triomphal : l'un des arcs fait partie du mur de plaquage et l'autre de l'ancienne abside. Une corniche profilée en biseau marque la séparation entre la paroi absidale et la conque. L'abside est flanquée de part et d'autre d'une niche rectangulaire.
L'autel actuel est surmonté d'une dalle qui est récente, mais le massif qui la porte est très probablement ancien. À l'origine, il devait être recouvert d'un enduit qui cachait les irrégularités de sa maçonnerie.
Un mur d'iconostase en pierre, percé de trois portes et très richement sculpté, marque la limite entre le sanctuaire et la nef. Il se présente comme une imitation d'une iconostase en bois où les encadrements et les panneaux portent un décor de motifs géométriques et floraux : frises de palmettes, rinceaux habités d'oiseaux et croix nombreuses. L'un des panneaux près de la porte sud porte la date et le nom de l'artisan qui a exécuté cette iconostase en 1875 : le mouallem (maître) Dibo al-Batrouni. Une iconostase d'un style semblable se voit aussi à l'église Saint-Mames du même village : elle date également de la deuxième moitié du XIXe siècle. Elle fut exécutée en 1880 par le même maçon. Le clocher semble aussi avoir été façonné par cet artisan.
L'iconostase de Saint-Saba est surmontée d'un épistyle en bois comportant 12 icônes alignées de part et d'autre de l'image du Christ. Elles datent de 1883 et sont de la main du peintre Mikhaïl Mhanna al-Qodsi, qui a aussi exécuté la deesis et la grande croix dite " salbout " en arabe. Du même peintre sont encore les anciennes icônes royales qui ont été démontées pour être restaurées. Elles seront dressées dans la nouvelle église Saint-Jean-Baptiste, en cours de construction sur la route principale du village. Celles-ci furent remplacées par quatre icônes récentes, peintes par le père Spiridon Fayyad de Lattaquieh en 1994. On note aussi une très belle croix processionnelle de 1908, œuvre du maître Jirjis al-Roumi.
La largeur de l'iconostase, et donc de la nef, s'est avérée insuffisante pour aligner l'ensemble des images. Il a fallu disposer les deux icônes des extrémités légèrement de biais. Cette anomalie pourrait s'expliquer de la manière suivante : l'épistyle aurait appartenu à une iconostase en bois qui a été remplacée 1875 par l'actuelle iconostase en pierre, au moment même où le mur d'arcade nord a été ajouté à la nef rétrécissant d'autant sa largeur.
Toute la partie occidentale de la nef, sur une profondeur d'environ 6 mètres, est un rajout. On peut le constater assez facilement par une ligne de césure dans la maçonnerie. Cette partie est surélevée d'une marche. Elle était peut-être réservée à la gynécée, l'emplacement réservé aux femmes, que l'on appelait " bayt an-nisa' " en arabe populaire.
Cette partie de la nef est directement accessible par une porte percée dans le mur sud. L'entrée principale de la nef est placée dans le mur nord. La porte sud est cintrée par une double archivolte. Son linteau est surmonté par une plaque sculptée d'une croix dont l'extrémité des trois branches est trilobée et les quadrants cantonnés de médaillons à décor floral ou en hélice. Le style des sculptures de cette plaque est très proche de celui de l'iconostase.
De l'extérieur, le chevet de l'église a subi des remaniements très importants. Il y a une douzaine d'années, l'abside était recouverte d'un enduit en béton. Le décapage de cet enduit avait mis au jour le parement de l'abside qui était formé de gros blocs de facture byzantine. Lors de ces travaux menés par le mouallem Walid d'Enfé, une partie de la conque de l'abside s'étant écroulée, les claveaux furent remis à leur place et rejointoyés. Malheureusement, les restaurateurs ont recouvert l'abside par un nouveau parement, escamotant complètement l'abside originelle qui pouvait dater de l'époque byzantine et, tout au moins, de l'époque médiévale.
Les habitants de Kfar Hata gardent encore le souvenir d'une chapelle peinte de fresques, dédiée à Notre-Dame et accolée à la chapelle Saint-Saba du côté sud. Le plan cadastral qui nous a été montré par l'ingénieur Aziz al-Rachkidi, originaire du village, garde la trace de cette chapelle qui avait apparemment aussi une abside saillante à l'extérieur. Il semble que les deux chapelles aient communiqué par un passage qui doit se situer au niveau du placard aménagé dans la paroi sud de l'église, tout près du mur d'iconostase. Malheureusement, aucune trace de ce passage n'est décelable dans le parement extérieur du mur sud et dont on a récemment enlevé l'enduit en béton.
Ce décapage a mis au jour cinq blocs décorés, en remploi dans la maçonnerie de ce parement. L'un de ces blocs comporte deux médaillons décorés : l'un d'un motif étoilé à huit branches et l'autre d'une rosace à sept pétales stylisés. Un autre bloc comporte une inscription arabe qui se déploie sur trois lignes inscrites dans un cartouche aux extrémités triangulaires. De l'inscription, on arrive à lire seulement le nom d'Élias Asmar décédé le 29 avril 1863. Elle est flanquée à droite d'une représentation d'oiseau, probablement une colombe. Il s'agit donc d'une épitaphe. Un troisième bloc comporte aussi dans sa partie droite deux bandes décorées, l'une de motifs géométriques, l'autre d'un feuillage très stylisé. Ce même feuillage se retrouve sur un autre bloc placé dans le chaînage de l'angle sud-est de la chapelle. Le dernier bloc est sculpté d'une croix flanquée de part et d'autre par deux oiseaux. Les branches de la croix sont formées d'un triple trait aux extrémités triangulaires. Ces cinq blocs très homogènes par le style et la technique de taille doivent provenir du démontage d'un même monument, s'agissant sans doute d'un tombeau datant de 1863, comme nous l'indique l'épitaphe, qui faisait partie d'un cimetière situé au sud de la chapelle. Ce cimetière a été supprimé en même temps que la chapelle sud dédiée à Notre-Dame. Ces modifications pourraient dater des années 1920 ou 1930.
Une cuve baptismale est placée sous l'arcade occidentale. Il s'agit d'une piscine circulaire taillée dans un bloc monolithique posé sur un massif de mortier. Sur la face qui regarde vers le sud, dans un médaillon en relief, est sculptée une croix pattée de type " byzantin ".
Il faut signaler la présence d'une icône de saint Georges, actuellement posée sur la corniche de l'abside. Elle a été restaurée dans la foulée des travaux effectués dans l'église au cours des dix dernières années. Elle semble appartenir à l'école dite melkite et pourrait dater du XVIIIe siècle. Le saint militaire imberbe est représenté sur un cheval rouge dirigeant sa lance dans la gueule d'un animal difficile à identifier, mais qui ressemble plus à un félin qu'à un dragon. Sous le ventre du cheval, on voit également un personnage debout en attitude d'orant correspondant peut-être à la fille du roi. Il pourrait s'agir aussi d'un donateur. Le saint est protégé par un ange représenté en vol au-dessus de son bras.
L'analyse architecturale de cet édifice s'avère particulièrement difficile à cause des nombreux remaniements et restaurations qui ont substantiellement oblitéré son état originel.
L'abside ancienne construite avec de gros blocs de taille, et qui n'est plus visible depuis les dernières restaurations, pourrait dater comme nous l'avons suggéré de l'époque byzantine ou, tout au moins, de l'époque médiévale (XIIe-XIIIe siècles). On soupçonnerait même, en relation avec cette abside, l'existence d'une église à trois nefs, qui fut probablement supprimée lors des remaniements du XIXe siècle. La nef actuelle sans le mur de placage nord apparaît en effet d'une trop grande portée pour être couverte d'un seul tenant. Mais si l'hypothèse que nous avons présentée plus haut à propos de l'iconostase est juste, il faudra supposer une phase de remaniements très importante dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Enfin, c'est au XXe siècle, durant les années 1920-30, qu'il faudrait sans doute rattacher l'avant-dernière phase de remaniements, également de grande ampleur et qui aurait conduit à la suppression de la chapelle Notre-Dame au sud, et l'adjonction de la travée occidentale. Le mur sud ainsi libéré a reçu un nouveau revêtement, comportant les cinq blocs. C'est de cette époque aussi que devrait dater la porte au sud-ouest.
Lévon Nordiguian
Novembre 2007
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