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Mosaïque de la vierge demandant à Justinien 1er de bâtir l´église de Saidnaya Justinien 1er, mosaïque de la basilique Saint-Vital de Ravenne
 
Croquis du monastère
d´après le moine Barsky en 1728
Sous le voile, dans une niche protectrice, la Chaghoura de Saidnaya
 
La conque de l´abside protectrice de la Chaghoura L´iconostase qui tapisse
l´abside de la Chaghoura
 
Des ex voto fixés sur le bas de l´iconostase à côté de la Chaghoura
Église Nativité de Marie (Milad as Saydé) de Saidnaya
 
Notice historique

 


Le bâtiment de l’église du monastère de la Nativité de Marie de Saidnaya dans le Qalamoun, au nord de Damas, n’est pas très ancien. Sa construction date de la fin du XIXe siècle. Mais son histoire, comme celle du monastère qui l’abrite, remonte aux premiers siècles du christianisme. L’église actuelle fut en effet construite à l’emplacement d’une église du XVIIIe siècle, elle-même édifiée à l’endroit du monument médiéval qui a remplacé le bâtiment originel qui remonterait au VIe siècle. Des vestiges d’une mosaïque au sol remontant à la première période byzantine (IVe-VIe siècle), et qui a survécu dans le sanctuaire jusqu’au XIXe siècle, attestent en tout cas que le monastère remonte pour le moins à cette époque.

Nous ne possédons malheureusement pas de relations écrites avant le Moyen Âge, du moins pas avant le XIIe siècle. La tradition orale rapporte cependant qu’il s’agit d’une fondation impériale. Les travaux de construction du monastère auraient débuté en 546 après J.-C., sous les ordres de l’empereur Justinien 1er qui a régné de 527 à 565 , après qu’une vision de la Vierge Marie lui ait apparue sous la forme d’une gazelle, et lui ait ordonné de faire bâtir une église sur l’éminence rocheuse où elle se tenait. On dit qu’à cet endroit se trouvaient les vestiges d’un temple ( ou d’une citadelle), ainsi que des inscriptions grecques du IIe siècle, gravées dans le rocher (Al-Zayyat 1932 : 5 et suiv., 63) .

Dans ses ouvrages relatifs au règne de Justinien 1er , Procope de Césarée ( v. 500 – v. 565 ), le compagnon et l’historien officiel de Justinien 1er, ne mentionne cependant pas la fondation par son empereur de ce couvent. 

H. al-Zayyat, l’historien le plus prolixe sur l’histoire du couvent, présente dans son ouvrage Histoire de Saidnaya qu’il a publié en 1932, une analyse comparée de toutes les sources alors disponibles, y compris les manuscrits de la bibliothèque du monastère, pour tenter d’en extraire un récit cohérent. Il avance le témoignage du pèlerin Thetmar en visite au couvent en 1217, qui affirme que le couvent fut fondé durant la période byzantine par une veuve pieuse de la ville de Damas qui fit le vœu de s’isoler du monde et de vivre en ermite dans le Qalamoun, où elle fit bâtir un oratoire pour venir en aide à d’éventuels visiteurs. Thetmar révèle aussi l’histoire d’un pèlerin qui aurait ramené une icône miraculeuse de Jérusalem et qui édifia l’église du couvent dans le but d’honorer cette image ( Al-Zayyat (1932 : 64). C’est cette légende qui fut, semble-t-il, racontée par les pèlerins occidentaux jusqu’au XVe siècle. La légende concernant l’intervention de Justinien 1er dans la fondation du monastère ne s’est répandue qu’à partir du siècle suivant. Cela dit, Al-Zayyat (1932 : 65-68) rapporte encore d’autres témoignages, parmi lesquels ce serait Eudoxie, la femme de l’empereur Théodose II qui aurait fondé le couvent au Ve siècle et envoyé là l’icône de la Vierge, après sa disgrâce à Jérusalem. En attendant une investigation documentaire et archéologique plus poussée, la question du maître d’ouvrage ne peut être tranchée.

Quoi qu’il en ait été, le monastère fut dédié à Notre-Dame. Il allait devenir un centre de pèlerinage important consacré à la dévotion mariale, et fut assorti d’un foyer de production de manuscrits en langue syriaque, la langue que parlait alors la population melchite orthodoxe de la région du Qalamoun et dans tout le nord de la Syrie historique (Al-Zayyat 1932 : 24 et suiv.) . Mais sa notoriété allait se raffermir grâce à la réputation d’une icône miraculeuse que l’abbesse aurait demandé à un moine pèlerin originaire de Constantinople de ramener de Jérusalem (Bacci 2004 : 9-10). Une autre interprétation de la légende raconte que l’abbesse en personne était allée en pèlerinage à Jérusalem et qu’elle aurait ramené cette icône ; et il en existe aussi des versions avec des détails variés que l’on peut lire dans les ouvrages cités en bibliographie. Aucun de ces récits ne date cependant cet événement.

En tout état de cause, l’on affirme également que l’icône serait une copie de l’une des trois icônes de la Vierge que Saint Luc l’évangéliste aurait peintes, selon une démarche instituée depuis la querelle iconoclaste ( Greek Orthodox Patriarchate of Antioch and All the East 2007), autrement dit « après la Pentecôte et dans la plénitude de l’Esprit Saint » . L’arrivée de l’icône à Saidnaya daterait donc du VIIIe ou du début du IXe siècle. C’est l’année 870 que propose en tout cas le cardinal C. Baronius au XVIe siècle pour dater la construction du monastère et apparemment l’arrivée de l’icône (Baronius 1888 : 526, Al-Zayyat 1932 : 68). Notons dès à présent le caractère légendaire de toutes ces affirmations concernant et la date de construction du monastère et celle de l’arrivée de l’image de la Vierge sur les lieux. Il reste que cet évènement aurait peut-être aussi contribué à hisser à cette période le monastère de Saidnaya au deuxième rang en majesté après le pèlerinage en Terre Sainte. Faut-il s’en étonner quand on sait que la région comptait avant le XVIIIe siècle quelque 40 lieux de culte entre églises fonctionnelles, abandonnées ou en ruine, et qu’on en dénombre encore aujourd’hui 23 (Al-Zayyat 1932 :45-47) ?

Chaghoura est le nom que l’on donne localement à cette icône miraculeuse, un vocable syriaque qui signifie « glorieuse », « illustre », « renommée » ; mais qui peut cependant également signifier « source », un autre attribut que l’on accorde à la Mère de Jésus, la religion chrétienne ayant été transmise à l’humanité par son entremise. Nous lisons enfin dans al-Zayyat (1932 : 61) que ce mot pourrait dire aussi « abri » ou « grotte ». C’est cette dernière acception qui est popularisée de nos jours au Moyen-Orient arabe.

De cette période originelle date la petite chapelle qui abrite aujourd’hui l’icône de la Chaghoura de Saidnaya, un lieu que l’on appelle en arabe Knisset al-Adra (chapelle de la Vierge), ou encore Maqam ach-Chaghoura (oratoire de l’icône miraculeuse). De nos jours, cet oratoire est situé au sud-est de l’actuelle église du monastère. Édifiée sur la roche en place, c’est l’une des plus anciennes constructions de ce site monacal. On y accède en passant la porte arquée du petit vestibule qui la précède, après avoir traversé une cour étroite qui longe justement le mur sud de l’église, dont la chapelle est de nos jours physiquement séparée. Il faut savoir que cette disposition était auparavant différente. Car le couvent et son église ont été reconstruits à plusieurs reprises, la dernière fois à la fin du XIXe siècle. Après quoi, pour accéder à la Chaghoura l’on devait suivre un parcours différent.

Au plan architectural et à l’instar des établissements collectifs et des résidences privées de quelque importance (palais, habitations), le monastère de Saidnaya a toujours été un établissement de type « pavillonnaire », quelle qu’ait été la forme extérieure de cet ensemble enceint d’une muraille imposante. En cela, il se trouve également comparable au modèle d’installation de l’ensemble des grands monastères des communautés orthodoxes qui avaient essaimé, dès les premiers siècles de notre ère, sur les pourtours de la Méditerranée orientale : depuis le Sinaï en Palestine jusqu’en Grèce, en passant par la Syrie, le Liban, la Turquie, l’Irak, et même plus loin. L’archétype le plus significatif en est le monastère Sainte-Catherine du Sinaï dont les origines remontent au IIIe siècle.

Les installations monacales de ce type se caractérisent par une répartition spécifique des bâtiments qui les composent. Ceux-ci sont organisés autour de petites cours intérieures et de terrasses, étant chacun assigné à une fonction distincte : corps de bâtiment réservé au patriarche, dortoirs des moines ou des moniales, ateliers, hôtellerie, bibliothèque, dispensaire, cuisine, réserve, buanderie… Mais l’établissement bénéficie aussi d’une sorte de cour « principale », qui n’est pas géographiquement centrale, mais qui se trouve habituellement plus proche que les autres cours de l’entrée de l’établissement. Cet espace ouvert est naturellement attenant à la l’église monacale. Il est reconnaissable par ses galeries en arcades, et peut encore comprendre un point d’eau et quelques bancs. C’est là que se trouve en tout cas le salon d’accueil des pèlerins.

Notre monastère n’échappe pas à ce schéma organisationnel, sauf que l’accueil et la gestion des pèlerins et des simples visiteurs dépassent le périmètre de son enceinte. Mentionnons d’abord les quatre autres petits couvents, situés dans le voisinage et affiliés à Notre-Dame de Saidnaya, et vers lesquels les pèlerins se dirigent également : Sainte-Barbe, Saint-Georges, Saint-Thomas et Saint-Christophe. Mais il existe aussi, et surtout, un nombre surprenant de grottes et d’abris sous roche où vivaient anciennement des anachorètes — ces moines qui choisissaient de vivre dans la solitude et le recueillement pour approfondir leur vie spirituelle, et que l’on enterrait même parfois sur place. La piété et la réputation de ces saints hommes captaient spontanément en ces temps-là des foules de fidèles et de pèlerins, au même titre que les membres du clergé séculier ou régulier mais de manière indépendante (Malamut 1993, Maraval 2004, Kaplan 2011). Les abris rupestres où se retranchaient pour prier ces hommes révérés sont ainsi restés des lieux de vénération opérant tout au long de l’histoire. Ils sont aujourd’hui considérés particulièrement propices à la dévotion. Des croyants et des touristes y affluent régulièrement. Ils y allument des cierges et des lampes à huile pour honorer la mémoire de leurs premiers occupants chrétiens, leur dédicaçant prières et vœux pieux. Une parmi ces grottes est même devenue un vrai oratoire, que l’on dit mazar en arabe : celle de Sainte Thècle que l’on appelle localement et dans la même langue Oum Bzazat, en raison de l’eau bénite qui suinte de ses parois .

Le rôle conséquent que les vénérables sages qu’étaient les anachorètes ont joué dans la mise en place de la dévotion populaire nous pousse à plaider, de manière déductive, en faveur du statut impérial de la fondation de notre monastère et de l’identité même de son maître d’ouvrage, même si les indices historiques ne sont pas encore tout à fait concluants.

Ce n’est effectivement pas un hasard si la légende a retenu le milieu du VIe siècle comme date de construction du monastère, au temps des novelles édictées par l’empereur Justinien 1er pour réorganiser, entre autres, les établissements religieux ( Kassab 1998) . Ces lois stipulaient notamment le regroupement dans des monastères des ascètes qui vivaient isolés chacun dans une grotte hors du contrôle de l’Église. Elles exigeaient de ces établissements de s’équiper de dortoirs pour pouvoir interdire aux anachorètes de vivre seuls (Kaplan 2011 : 149 et suiv.).

Justinien 1er a joué un rôle important pour reconstituer un empire unitaire, tant par la reconquête que par la codification systématique du droit et par sa prétention à régenter directement l’Église. Il a consacré ses efforts à unifier les croyances et les pratiques chrétiennes, intervenant fortement contre les divisions religieuses qu’avaient entrainées les querelles christiques des premiers siècles du christianisme. Il a œuvré également contre le paganisme qui continuait à sévir dans de nombreuses régions de Syrie et de Palestine, jusqu’au VIe siècle justement. Très pieux, Justinien 1er a commandité et rétribué la construction d’églises et d’établissements religieux et charitables. Il est très plausible que le monastère de Saidnaya ait été érigé sous son autorité directe, comme le rapporte la légende, ou de manière indirecte, par le biais d’une autorité locale.

Les donations pieuses étaient alors courantes. Inspirées de l’évergétisme (action de faire le bien envers une communauté) des cités grecques et romaines antiques, ces pratiques ont pris de l’importance, après la paix de l’Église en 313. De nombreuses œuvres de bienfaisance étaient offertes par de riches personnalités publiques, les édiles, mais surtout par la famille impériale qui donnait l’exemple. Et d’autant que ces œuvres contribuaient à fixer les normes et les outils du quadrillage chrétien du territoire de l’imperium, et d’abord en Terre Sainte, le marquant de l’identité et de la vigueur de la nouvelle religion.

Les monastères importants de la région ne sont-ils pas pour la plupart des fondations impériales ? Saint-Georges d’el-Hmeira, fondé apparemment au VIe siècle par Justinien 1er dans le Akkar syrien, en est un exemple. Une autre et plus ancienne réalisation impériale fut le monastère Saint-Maron sur l’Oronte en Syrie, érigé au milieu du Ve siècle par les soins et les donations de l’empereur byzantin Marcien. Citons encore, plus loin dans l’histoire, la  basilique de la Nativité  à Bethléem qui fut érigée au IVe siècle par l'empereur Constantin 1er (Eusèbe,   Vie de Constantin , III 43) , et restaurée au   VIe siècle par Justinien 1er, etc.

L’autre hypothèse est que la construction du monastère s’est faite sous la directive du patriarcat melchite orthodoxe d’Antioche. Celui-ci se devait, de toute manière, de mettre en application les novelles impériales et y avait intérêt. La légende de l’apparition de la Vierge à l’Empereur Justinien pouvait avoir été alors établie pour le besoin, contribuant à faire accepter, par le biais de la volonté divine, la mise en application des lois impériales pour le contrôle des moines et des ermites qui seraient récalcitrants, de même peut-être de la partie de la population qui les soutenait.

Le monastère et son église au regard de voyageurs du Moyen Âge

Les informations livrées par les voyageurs du Moyen Âge sont brèves, incomplètes et parfois contradictoires entre elles et avec ce que rapporte aujourd’hui la tradition orale. Elles restent naturellement utiles quoique peu probantes en ce qui concerne l’évolution architecturale et organisationnelle de l’église et de la chapelle de l’icône miraculeuse avant la période moderne. M. Immerzeel (2007 et 2015) a établi une analyse comparée de nombreux témoignages concernant cette question précise, les évaluant selon leur contexte historique et des observations archéologiques publiées. Nous en reprenons le suivi et les éléments essentiels concernant les formes extérieures et les subdivisions intérieures que présentaient l’église de Saidnaya et la chapelle de la Vierge, tout en ajoutant au besoin un complément de renseignements glanés dans les ouvrages cités dans la bibliographie. Pour d’autres détails sur la vie du monastère, ses légendes, ses icônes et les contextes militaires et politiques qu’il a subis, nous renvoyons le lecteur au texte de H. al-Zayyat (1932) et à la notice historique publiée sur le site du patriarcat melchite orthodoxe d’Antioche sous le lien
https://antiochpatriarchate.org/en/page/our-lady-of-saydnaya-patriarchal-monastery/146/ .

On sait qu’au XIIe siècle le monastère était mixte. Douze moniales et huit moines y habitaient. C’est ce que nous lisons dans le rapport de  Burchard de Strasbourg de 1175 (Tolan 2003 : 191), qui nous apprend encore qu’à l’intérieur de l’église, se trouvait un tableau qui mesurait une brasse de long et une demi-brasse de large, et qu’il était posé derrière l’autel dans le mur de l’abside, à l’intérieur d’un compartiment embrassé par une grille en fer. Et, nous dit l’auteur, s’il était permis à tout le monde de regarder le tableau, personne n’était autorisé à le toucher. Ce témoignage nous renseigne aussi sur l’image que figurait ce tableau, celle de la bienheureuse Vierge qui resplendissait car elle s’était incarnée et répandait sans cesse de l’huile parfumée à l’odeur de baume…

Cet écrit rapporte de plus une autre version de l’arrivée de l’icône miraculeuse à Saidnaya, qu’avait repris G. Raynaud (1888 : 528). Il prétend qu’en l’an 370 de l’ère chrétienne, une abbesse de Sardenai (Saidnaya) étant venue à Jérusalem en pèlerinage demanda cette image à un patriarche qui l’avait « apportée de Constantinople et la transporta à Sardenai ».

Deux siècles plus tard, les relations deviennent plus fournies et commencent à inciter un nombre important de pèlerins occidentaux à rendre visite à la Vierge de Saidnaya. Les écrits de  Ludolph von Suchem en 1350 nous donnent à savoir que le monastère était resté mixte, et que l’église comportait alors trois nefs avec douze colonnes en marbre, six de chaque côté. Quant à la Chaghoura, elle était placée dans une niche protégée par des barres métalliques, à environ quatre pieds au-dessus du sol derrière l’autel principal. Cette icône, qui mesurait un bras de long et un demi-bras de large, exhalait un parfum suave et dégageait de l’huile guérisseuse. Hormis les trois nefs qui composaient l’église, ce témoignage ajoute que l’image du tableau figurait la Vierge Marie représentée allaitant l'enfant Jésus, s’agissant de fait d’ un type pictural de la tradition orthodoxe locale (Bacci 2004) que l’on dit en grec Galaktotrophousa . Durant le même siècle, les écrits de 1183 du copte Abou al-Makarim, qui rapporte les dires de l’évêque copte de Damiette Anba Mikha’il, nous apprennent que l’icône miraculeuse était néanmoins devenue quasiment illisible (Syriany 1984) : seules quelques reflets rouges restaient observables.

Au XVe siècle,   un notable flamand, J oos van Ghistele, visita à son tour le monastère, en 1481. Il nous avertit que l’église possédait un beau narthex supporté par quatre piliers, et qu’elle était large à l’intérieur. Elle comprenait une nef centrale, quatre collatéraux et vingt colonnes qui supportaient la voûte, et était coiffée d’une toiture à deux pentes.

Durant le XVIe siècle, précisément en 1599, le voyageur Don Aquilante Rocchetta visite l’endroit et rapporte que le portique est formé de cinq arcades portées par des colonnes en pierre. Sur l’intérieur de l’église, il nous avise cependant, sans doute par inadvertance ou peut-être pour avoir repris des sources anciennes sans les vérifier, de la présence de trois nefs, la principale étant séparée du reste par quatre ou cinq colonnes de styles différents. Il remarque enfin avoir vu dans le sanctuaire où se trouve l’autel une mosaïque en briques belle et variée.

Peu de témoignages sur l’état de l’église nous sont parvenus du XVIIe siècle sous le règne ottoman, si ce n’est que l’église était en ruine, après que les moines aient abandonné le monastère, la laissant à la charge des seules moniales. Mais le monument fut restauré en l’an 1636.

Le rapport qui nous parvient du XVIIIe siècle est par contre beaucoup plus abondant en informations, bien plus précis et, par chance, assorti de croquis : c’est celui du moine ukrainien Vasily Grigorovich Barsky qui visita l’église de 1728. Barsky nous apprend d’abord que l’église de Saidnaya était semblable à celle du Mont Sinaï qui fut érigée aussi sous les ordres de Justinien, mais qu’elle était plus belle et plus majestueuse. Le texte et les croquis de Barsky livrent ensuite des descriptions précieuses de l’extérieur et de l’intérieur de cette église. Nous saisissons que le portique en arcade cintrée sur quatre colonnes à la façon antique n’a pas changé, et que la toiture était pentue au-dessus de la nef centrale et qu’elle arborait des tours relativement hautes montées sur ses parties horizontales qui couvraient les nefs collatérales. Nous apprenons surtout que le monument se composait de cinq nefs, arrangées par un total de vingt colonnes disposées par quatre, d’une hauteur d’environ 3,5 mètres et d’un tour de bras de section, et qu’il possédait de la sorte quatre autels auxilliaires où l’on célébrait la liturgie dédicacée à Saint Jean le théologien, Saint Nicolas, l’archange Michel et Saint Jacques. Ce témoin oculaire confirme la subdivision de l’ancienne église en cinq nefs, non pas trois, du moins depuis le XVe s. Al-Zayyat (1932 : 20-21) rappelle à ce sujet que les nonnes accordaient aux communautés jacobite, nestorienne, maronite et grecque catholique la possibilité d’accueillir dans les collatéraux les pèlerins de leur rite, à l’instar de ce qui se faisait au Saint-Sépulcre depuis le Moyen Âge. C’est bien là un indice du nombre de confessions chrétiennes et de visiteurs variés que Saidnaya recevait, et par suite du deuxième rang acquis dans le Moyen-Orient après celui de Jérusalem. C’est sans compter la quantité de visiteurs musulmans et israélites qui se rendaient là de manière régulière, au même titre que les chrétiens.

Revenons au moine Barsky qui nous renseigne encore sur le sanctuaire de l’église, celui-ci comprenant une iconostase recouverte d’un beau voile et un autel maçonné surmonté par un dais monté sur quatre colonnes en marbre. Au sol, il a remarqué la présence de mosaïques byzantines figurant des animaux, alors que le sol des nefs était pavé. Et d’ajouter que l’église était ouverte par trois portes, une grande du côté ouest et deux petites dans la façade nord où les fenêtres étaient étroites, et que, hormis cette église, le monastère comprenait en ce temps-là deux autres chapelles situées parmi les cellules des moniales et dédicacées à Saint Georges et Saint Théodore Tiron.

R. Pococke (1745) qui se trouvait à Saidnaya en 1737 confirme que l’église est restée conforme au modèle de l’ancienne du XVIIe siècle qui avait été ruinée et réparée. Il note la présence du narthex et la subdivision de l’église en cinq nefs séparées par quatre rangées de piliers. En 1759, lors d’un violent tremblement de terre, ce monument à l’intérieur duquel se trouvait l’icône miraculeuse fut malheureusement très endommagé. Une restauration complète et finale fut effectuée en 1762.

Au début du XIXe siècle, l’édifice devait toutefois encore subir des dégâts en 1810 en raison de troubles civils. En 1821, il échappa, de justesse, au saccage populaire de la région qui eut lieu suite à la déclaration d’indépendance de la Grèce vis-à-vis de l’Empire ottoman.  Quand l’archimandrite russe Porfiriy Uspensky visita le couvent en 1843, il consigna dans un diaire l’état plutôt dégradé de l’endroit. Ses notes en langue russe furent heureusement traduites en anglais par Y. Pyatnitsky en 2009. Elles nous livrent une description de l’intérieur du sanctuaire où, devant et derrière l’autel, le sol est couvert de mosaïques faites de pierres de différentes couleurs et d’un décor d’animaux cantonnés dans des rectangles (Pyatnitsky 2009 : 95). « Actually, such mosaics are known from many early Byzantine churches in the Middle East », note M. Immerzeel (2015 : 238) qui confirme leur datation de la première période byzantine.

On apprend aussi de ce témoin oculaire qu’était l’archimandrite Uspensky que des mosaïques (ou des marqueteries) de brique rouge et de marbre blanc ont été posées derrière l’autel, dans la petite chapelle spéciale où est conservée « l’icône de Saint Luc », nous dit-il, sur les parois et sur le sol. Il rapporte qu’il lui a été impossible de voir l’icône car elle était enfermée sous un arc oblong en métal. Et il ajoute qu’il a entendu que l’image a été volée du monastère il y a longtemps, que nul ne sait où elle se trouve et que seulement une copie est préservée dans la niche placée dans le mur derrière la grille en argent. Uspensky nous informe de plus que la nef à droite de l’abside centrale était dédiée à Saint Nicolas et après elle, se trouvait une autre nef, plutôt sombre, consacrée à Saint Dimitri (qui n’est mentionné dans les témoignages précédents) ; et que du côté gauche, se trouvait la nef du Conseil des archanges (Pyatnitsky 2009 : 95).

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’église fut à nouveau endommagée de manière violente, suite à la guerre civile qui a touché Damas et sa région en 1860. L’ampleur des dégats a amené le patriarche à écarter l’option d’entamer une restauration et de pencher plutôt vers une reconstruction totale, une opportunité pour la mise en place d’un plan d’implantation et de réorganisation différent. La reconstruction débuta vers la fin des années 1860 et dura environ 20 ans. Elle entraina un léger déplacement de l’église vers le nord (Immerzeel 2015 : 238) , la restructuration entière de son intérieur et, pour la première fois, sa séparation de son icône miraculeuse, celle-ci devant être désormais cantonnée dans une chapelle annexe, donc séparée, avec une entrée qui lui est propre.

L’église du XIXe siècle

L’édifice qui vit le jour fut bâti dans le style syncrétique du XIXe siècle ottoman, se conformant aux formes anciennes tout en adoptant des éléments architectoniques nouveaux, qui n’avaient pas cours en tout cas dans l’architecture traditionnelle locale : à savoir le dôme semi-sphérique que supportent quatre piliers massifs, la toiture voûtée en croix, le clocher-horloge sud, le fronton trilobé, des décors en denticules… À l’intérieur de l’église, est adoptée la formule basilicale classique à trois nefs, dont la principale est plus élevée que les deux collatérales. On introduit aussi des peintures aux motifs végétaux et cosmiques en polychrome sur la coupole et sur les arcs qui dominent le chœur et le sanctuaire. Ces peintures tranchent sur le fond de couleur bleu-ciel des voûtes, une couleur de pure tradition grecque. Quant au sol, il est garni de marqueteries. Et l’on notera enfin sur la chaire épiscopale, la statue de l’aigle à deux têtes, le symbole de l’Empire byzantin et de l’orthodoxie.

Plus de détails sur d’autres composantes extérieures et intérieures de l’église apparaissent sur les écrans qui ont précédé cette notice historique, notamment sur le narthex, la tribune, les ouvertures, les icônes et l’iconostase, les mosaïques, les décors, l’éclairage…

La chapelle de la Chaghoura

À compter avec l’étage inférieur (où se trouvent aussi la cuisine et la réserve), et avec la salle voûtée au-dessous des cellules des moniales, la chapelle de la Chaghoura compte parmi les parties les plus anciennes du monastère. Ces bâtiments sont tous les trois édifiés sur la roche en place.

L’icône miraculeuse se trouve aujourd’hui dans cette construction d’âge ancien. On la remarque dès que l’on rentre dans la pièce. Elle est placée derrière l’autel, étant installée dans la paroi absidale légèrement vers la partie sud, à l’intérieur d’une niche bardée de barres métalliques et recouverte par un voile. Une disposition conforme en tous points aux descriptions historiques notées plus haut. Tout prête à croire, comme l’avait noté E.-G. Rey (1883   : 292), que cette chapelle est de fait l’abside de l’église ancienne. Surtout que E.-G. Rey avait aussi noté la présence des mosaïques au sol ; ce qui a d’ailleurs amené M. Bacci (2006) et M. Immerzeel (2015) à le confirmer récemment.

La chapelle mesure environ 6 m en largeur et 5 m en longueur. Elle est prolongée par une abside saillante vers l’extérieur (Immerzeel 2015 : 237-238), le plafond étant formé par une large conque qui se termine par un arc. Comme le plafond est aujourd’hui relativement bas, le sol originel doit se trouver à environ 1 m sous le sol actuel, comportant peut-être aussi les mosaïques protobyzantines. M. Immerzeel ajoute par ailleurs que l’abside de la chapelle de la Chaghoura ne fut pas le seul corps de la partie orientale du sanctuaire à avoir survécu à la destruction de l’église historique. Le vestibule y attenant présente lui aussi une abside, se terminant par un arc et un chapiteau, tous les deux érodés. Cette pièce est de fait une autre nef de la partie orientale de l’église ancienne. Ceci est par ailleurs aisément visible de l’extérieur de la muraille à laquelle elle est adossée.

Immerzeel (2015 : 238) en déduit que les vestiges du mur nord de la vieille église se trouve sous le sol de la nouvelle, et que les restes du mur sud devrait logiquement se trouver enfoui entre le jardin du XIXe siècle et la muraille. Seule des fouilles archéologiques peuvent établir la certitude de cette analyse.

May Davie
Juillet 2024

BIBLIOGRAPHIE


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